C’est Emile Durkheim qui affirmait « L’avenir ne peut être évoqué du néant ». Quand on aborde les relations entre le Maroc et l’Espagne, les réalités historiques sont incontournables.En effet, entre les deux rives de la Méditerranée, il n’y a pas de peuples qui partagent autant d’interférences historiques et culturelles comme les peuples marocain et espagnol. A cause de cela, on entend souvent dire de part et d’autre du Détroit que « ces deux peuples sont condamnés à s’entendre ». Mais l’entendement suppose la connaissance, le dialogue et le respect mutuel bannissant tous les complexes hérités de temps révolus. Certes des points forts dans l’histoire commune des deux peuples avaient dressé des barrières psychologiques chez certaines catégories de l’opinion publique espagnole qui véhiculent encore, par méconnaissance, des clichés et des stéréotypes sur le Maroc et les Marocains. Ces barrières psychologiques surgissent chaque fois que l’actualité rappelle l’existence de dossiers litigieux entre les deux pays.
Aux deux bords du Détroit, tout citoyen et militant des droits de l’homme, épris de justice et de légalité, a le devoir d’agir et d’œuvrer pour l’amélioration des relations entre les deux peuples, en ouvrant un débat serein sur tous les dossiers litigieux qui les opposent. Car la conclusion qu’on peut tirer en suivant les réactions d’une large partie de l’opinion publique espagnole à travers la presse, la télévision et l’Internet , c’est que le fond de nos problèmes réside dans un déficit de connaissance entretenu parfois, par opportunisme, par des politiciens soucieux plus de compter la moisson des urnes que de préparer l’avenir. Ces politiciens ont besoin de méditer cette réflexion du politicien français Edgar Faure quand il disait que « gouverner c’est prévoir ». Cette méconnaissance des dossiers est entretenue également par certains médias, qui au mépris de toute déontologie de la profession, « abrutissent » leurs lecteurs par de fausses opinions sur le Maroc et les Marocains. Il semble, comme l’a bien confirmé un journaliste espagnol que malheureusement « l’image négative du Maroc se vend bien en Espagne » A cet égard, la société civile peut jouer un rôle important dans cet apprentissage à communiquer et à se connaître dans la transparence et la confiance et surtout sans complexe. Et il est évident, que le premier pas pour résoudre un problème c’est de le poser.
C’est dans cet esprit et dans le cadre d’un débat constructif, que sera abordé ici, le dossier de Sebta, Mélillia et les îles, contentieux qui surgit au gré des événements : l’attaque espagnole contre l’îlot marocain du Tourah-Leïla, le sursaut des migrants subsahariens contre les clôtures des deux villes occuppées et dernièrement la visite du chef du gouvernement espagnol le socialiste Jose Luis Rodriguez Zapatero, visite qualifiée par euphémisme par le porte parole du gouvernement marocain d’inopportune. Sur ce dossier, certaines déclarations faites par des responsables politiques et certaines idées émises par des médias espagnols nous interpellent en tant que citoyens marocains.
Pour commencer, interrogeons d’abord le référentiel juridique. En droit international, le colonialisme se définit par l’établissement d’une domination, souvent par la violence, sous trois aspects : (i) économique, dont la finalité est de faire prévaloir les intérêts de la métropole et l’occupation des terres par la force,(ii) politique, visant l’instauration avec des modalités variées d’un système de sujétion et (iii) culturelle, la métropole imposant sa culture comme culture dominante. Cette définition s’applique parfaitement aux colonies espagnoles au Nord du Maroc. C’est par la violence qu’elles étaient occupées militairement à partir de la fin du XVème siècle :Melilla en 1497 par Pedro Estopignan attaché au duc Medina-Sidonia, Sebta devenue officiellement colonie espagnole en 1640 cédée par les Portugais qui l’ont occupée en 1415. Il convient de rappeler à cet égard que la superficie des deux présides a été largement étendue suite à la défaite de Tétouan en 1859( cf l’article 1er du traité de Tétouan). le penon de Velez fut occupé par Ferdinand V en 1508, Le Penon d’Alhucemas occupé le 28 août 1673 sous le règne de Charles II. Enfin les îles Jaafarines tombèrent sous la domination d’Isabelle II le 6 janvier 1848.
Cette violence coloniale a donné lieu à de nombreuses tentatives de libérer ces territoires par les sultans du Maroc. On peut rappeler à ce sujet, le siège de Sebta par Le sultan Moulay Ismaël qui dura plus de vingt ans, de 1697 à 1720, les tentatives du sultan sidi Mohammed Ben Abdellah de reprendre Melilla et le siège de Sebta en 1780 pat Moulay Yazid., sans compter les incursions des tribus avoisinantes tentant de libérer ces colonies dont elles ont été chassées. Le peuplement des présides a été organisé par les autorités de Madrid. Cette pratique coloniale vide de sa substance le principe de l’autodermination. Le changement de l’aspect ethnique de ces territoires à la suite de l’occupation étrangère ne constitue pas une base d’application valable de ce principe , cela aboutirait à sauvegarder le statut colonial des présides : cette population étrangère espagnole qui a chassé la population d’origine ne peut être considérée comme une population autochtone au sens de l’article 73 de la Charte des Nations unies..
A cet égard, la comparaison de la situation juridique des présides avec le rocher de Gibraltar est frappante L’Espagne s’est toujours attachée à souligner le caractère colonial du rocher cédé aux anglais en 1704. Elle a rejeté le référendum effectué par la Grande Bretagne le 1er septembre 1967 estimant que « les habitants de Gibraltar constitueraient une population immigrée, dont l’opinion ne pourrait justifier le maintien d’une souveraineté étrangère sur une partie de son territoire », position juridiquement fondée puisqu’elle a été entérinée par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Ici , l’Espagne a bien défendu le principe que l’autodétermination n’a pas pour objet d’amputer l’intégrité territoriale des Etats.
Certains milieux espagnols( voir entre autre, différents articles d’El Faro de Sebta) font circuler l’idée que les colonies espagnoles au Nord du Maroc ont été occupées avant la constitution de l’Etat marocain, ce qui est simplement un mensonge et une déformation de l’histoire parce que l’Etat marocain est né au VIIIème siècle sous la dynastie Idrisside , se fortifia après, au point qu’au XIIème siècle, l’Andalousie avec son prolongement portugais avait constitué une province d’un puissant Etat marocain sous les Almoravides et les Almohades.
Si ceux qui disent que « ces territoires n’ont jamais été qu’espagnols » justifient le fait colonial par le temps qu’ils aient passé sous la domination coloniale : cinq siècles pour la plus ancienne des colonies, Melilla, cet argument est dangereux et non fondé. Les Portugais ont occupé Macao en 1557 et les Arabes sont bien restés en Andalousie huit siècles, on ne peut penser, que sur le plan juridique et historique, cela soit un argument pour justifier une quelconque revendication de ce territoire !
Par ailleurs , il faut rappeler que les causes qui étaient à l’origine de cette occupation s’inscrivaient dans cette idéologie des croisades : la lutte entre pays de l’Islam et pays de la chrétienté. Espionner les pays musulmans et prévenir les attaques des corsaires, c’était le rôle assigné à ces colonies qui servaient de concentration des armées et de lieux d’incarcération des criminels les plus dangereux. Cet esprit des Croisades n’a plus aucun fondement dans les relations internationales du XXIème siècle. En juillet 1991, le Maroc et l’Espagne avaient bien signé un traité d’amitié et de bon voisinage Dans le préambule de ce traité , il est bien précisé que les deux parties signataires du traité sont "persuadées que l’entente réciproque et la coopération entre les deux royaumes sont la garantie indispensable de la paix , de la stabilité et de la sécurité de cette région et le meilleur moyen de servir les objectifs de progrès et de développement des deux peuples".
De toute évidence, l’image de l’Espagne demeure ternie par l’existence de ces colonies qui sont les derniers vestiges du colonialisme en Afrique. C’est cet anachronisme qui a favorisé le règlement négocié des cas similaires par les Portugais à Macao et par les Britaniques à Hong Kong et à Gibraltar. Les Britanniques ont opté dans le cas de ce territoire espagnol pour une solution négociée ce que propose le Maroc et refuse encore l’Espagne Ceci revient, en paraphrasant le philosophe français Pascal à croire à l’existence de deux vérités, dans notre cas , celle qui est en deçà du Détroit est erreur au delà Rappelons à ce propos que le gouvernement espagnol avait opté pour la voie de la sagesse et cédé d’autres colonies au Maroc par la négociation : Tarfaya en 1958, Sidi Ifni en 1969 et le Sahara en 1975. Et bien avant, il a du évacuer par la force Larache et Mahdia.
Ce même gouvernement aurait du opter pour cette même solution en 1956, puisque pendant la période coloniale, l’Espagne a intégré Sebta et Melillia sous le régime du Protectorat, l’Espagne reconnaissant par-là la souveraineté du Khalifa de Tétouan sur ces territoires au même titre que le reste de la Zone Nord. Mais quand la France a décidé d’octroyer l’indépendance au Maroc, l’Espagne a suivi tout en amputant, sous la pression des franquistes, le Maroc des deux présides et des îles.
L’attachement des Marocains à cette partie de leur pays est indéfectible. Il faut rappeler, à ce propos, que la ville de Sebta en particulier a joué un rôle important dans l’histoire du Maroc. Elle rivalisait au XIIème siècle avec Fès et comptait un nombre important de medersas, de mosquées et de zaouïas, monuments que le colonialisme portugais, mu par un esprit inquisitoire, s’est acharné à détruire.
Sebta était l’une des huit provinces de l’Etat Almohade Des symboles de notre culture sont originaires de cette ville : pour ne citer que les plus connus, les savants Abou Al Abbas Sebti, El Cadi Ayad qui avait laissé parmi ses oeuvres une monographie des savants de la ville, mais le plus célèbre et qui reste une fierté de notre histoire et de notre culture est le géographe Charif Al Idrissi( 1099- entre1165 et 1186) dont l’encyclopédie Universalis nous dit qu’ « il apporta des renseignements nouveaux à la science géographique ,« il est le premier à nous procurer des notices sur tous les pays chrétiens » ; son œuvre est considérée comme « l’encyclopédie la plus remarquable du moyen âge ».
Ces symboles de notre patrimoine culturel comme ces territoires dont ils sont originaires font partie de notre mémoire collective , elle est transmise de génération en génération, c’est ce qui explique qu’à aucun moment de notre histoire n’a cessé la revendication des Marocains pour libérer ces colonies. Sur le plan diplomatique, le Maroc a revendiqué ces territoires dans toutes les instances internationales, aux nations unies( voir discours de Mr Benaïssa devant l’assemblée générale le 14 septembre 2002), à la conférence islamique, à la ligue arabe, aux sommets des non alignés , à l’OUA quand il était membre, etc.
A la lumière de ces arguments, ni la loi espagnole sur les étrangers qui fait d’une population marocaine des étrangers dans leur terre, ni le statut d’autonomie des deux villes, ne peuvent changer la nature du fait colonial, que tout espagnol démocrate ne peut que réprouver.Comme dans tous les cas similaires, la restitution de ces colonies à leurs ayant droits est une question de temps et il serait vivement souhaitable qu’elle se passe et au plutôt dans un cadre négocié qui sauvegarde les intérêts des deux pays et préserve les relations entre les deux peuples. L’existence de ces colonies à l’aube du XXIème siècle est incontestablement un anachronisme parce la géographie est têtue et encore plus l’histoire.
Par Mohamed Khachani
Posté par Ibn Khaldoun, 27 juillet 2006 à 15:06
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