La conférence d¹Algesiras 1906 : Une trêve dans le partage du Maroc



1. Antécédents de la question

L¹introduction des réformes imposées à certains pays par les puissances européennes tout au long du XIXe siècle et au début du XXe fut le prétexte dont ces dernières se prévalurent pour exercer leur domination coloniale plus ou moins couverte ou déclarée, selon les circonstances. La puissance qui obtiendrait la prépondérance dans l¹introduction des réformes, fondamentalement d¹ordre militaire et économique, serait aussi celle qui réussira à occuper dans ces pays une position politique et économique prédominante. Deux empires nous viennent tout de suite à l´esprit, tous deux musulmans, à qui l¹on pouvait appliquer ce qui précède, l¹Ottoman et le Chérifien, dénommés par les Européens, le premier «l¹homme malade de l¹Orient», et le second «l¹homme malade de l¹Occident».
Il n¹est guère de doute que le Maroc faisait depuis longtemps partie des pays avec lesquels les puissances européennes ou d¹autres latitudes signèrent des accords internationaux sur un pied d¹égalité. Pour ne nous référer qu¹à certains, il convient de mentionner l¹accord de paix et d¹amitié entre la France et le Maroc, signé le 28 mai 1767, quand régnait en France Louis XV et au Maroc le Sultan Moulay Mohamed, accord qui avait comme base et fondement, celui souscrit antérieurement par Louis XIV et Moulay Ismail en 1682. A l¹instar de celui signé avec la France, le Maroc signa au XVIIIe siècle avec d¹autres puissances des accords d¹amitié et de commerce: en 1767(i) et en 1780(ii) avec l¹Espagne; en 1781 avec le Royaume des Deux Siciles, par l¹intermédiaire de l¹Espagne; et en 1786, aussi par l¹intermédiaire de l¹Espagne, un traité de paix avec les Etats Unis d¹Amérique, trois ans après que ces derniers eurent obtenu leur indépendance.
Particulièrement important pour l¹Espagne fut le Traité de paix, de commerce, de navigation et de pêche, signé avec le Maroc à Meknes le 1er mars 1799(iii), qui devait régir les relations hispano-marocaines jusqu¹en 1860. La majorité de ces accords avec les pays européens ou les Etats Unis d¹Amérique avaient pour objet de réguler les relations commerciales, à l¹exception de ceux signés avec l¹Espagne, dans lesquels, ce pays frontalier avec le Maroc, par les enclaves de Ceuta, Melilla et les deux presqu¹îles, entraient des considérations, d¹ordre commercial, ou en rapport avec la fixation des limites territoriales. Il convient de signaler qu¹en vertu du Traité de 1799, il était permis à l¹Espagne d¹entreprendre des actions punitives contre les «moros frontaliers» des enclaves espagnoles, sans que ces châtiments n¹entraînent de rupture avec l¹Empire chérifien, ce qui empiétait l¹autorité du Sultan sur ses sujets, même si sa souveraineté sur le Rif était formellement reconnue.
Au XIXe siècle, la position du Maroc sur l¹échiquier international connut un important changement, après la conquête de l¹Algérie en 1830, la France s¹étant convertie en voisine. Bien que les limites entre tous ces territoires se basaient sur ce qui existait durant la période de la Régence d¹Alger, la fixation de la frontière, mal définie selon les Français, servira à ces derniers de prétexte pour mener à bien une politique d¹expansion dans la région orientale du Maroc, connue comme les «confins algéro-marocains». L¹aide apportée par le Sultan Moulay Abderrahman au mouvement de résistance algérien de l¹émir Abd-el-Kader aboutit à la bataille d¹Isly, au cours de laquelle les troupes françaises infligèrent une cuisante défaite à celles du Sultan en août 1844. Si le Traité de Lalla Maghnia du 18 mars 1845 fixait bien la frontière algéro-marocaine, la situation de certains territoires limitrophes sud-sahariens, parcourus par les tribus nomades, demeurait suffisamment imprécise pour permettre l¹expansion militaire française à partir de l¹Algérie. Par ailleurs, ce Traité ratifiait un autre antérieur, de septembre 1844, immédiatement après la bataille d¹Isly, par lequel le Sultan s¹engageait à infliger de durs châtiments aux chefs marocains qui prêteraient aide à l¹émir Abd-el-Kader et à ne pas permettre que lui soit porté assistance, secours ou argent, munitions ou autres moyens de guerre, ce qui laissait supposer que si les marocains s¹abstenaient de poursuivre l¹émir Abd-el-Kader sur leur territoire, ce serait aux Français qu¹il incombera de le faire. De nouveau ici, comme ce fut le cas pour l¹Espagne, autorisée par le Sultan à punir, le cas échéant les «moros frontaliers» qui s¹attaqueraient aux présides espagnols, la France empiétait la souveraineté du Sultan en lui imposant une série d¹obligations.
Les autres puissances européennes, particulièrement l¹Angleterre, contemplaient les ambitions expansionnistes de la France dans la région avec une apparente indifférence non exempte d¹une certaine jalousie. Quand l¹Espagne, devançant de peu la France, occupa les îles Jaafarines en 1848, il n¹y eut guère de protestations. A vrai dire, tant les îles Jaafarines que les confins algéro-marocains demeuraient suffisamment lointains de Gibraltar pour que l¹Angleterre y voie le moindre péril pour son contrôle sur le Détroit. Le plus important pour elle était l¹ouverture du Maroc au commerce international, objectif qu¹elle finira par atteindre avec l¹abolition par le Sultan du règlement douanier prohibitif et du monopole chérifien sur les échanges extérieurs, instaurés en 1814-1815, et la signature le 9 décembre 1856 du Traité anglo-marocain de commerce et de navigation, auquel adhéreront plus tard d¹autres pays comme le Portugal, les Pays Bas, la Sardaigne et le Royaume des Deux Siciles. La France et l¹Espagne qui avaient appuyé l¹Angleterre dans ses efforts en vue de parvenir à l¹abolition des monopoles et la liberté commerciale au Maroc, espéraient bénéficier aussi des dispositions du Traité anglo-marocain de 1856, tout en maintenant les avantages que leurs procuraient les accords antérieurs. Le Traité de commerce hispano-marocain du 20 novembre 1861 est, par plusieurs de ses articles, une copie conforme de celui souscrit par la Grande Bretagne en 1856. Il en est de même du Traité signé par le Maroc avec la Belgique en 1862. Ces traités seront suivis par le dahir du 4 juin 1864, par lequel fut instaurée la liberté commerciale dans tout l¹Empire chérifien.
La nouvelle situation créée par l¹ouverture du Maroc au commerce international et la libre circulation des marchandises impliquaient en soi la présence de nombreux commerçants étrangers dont le statut réglementaire devait être précisé. A partir du Traité anglo-marocain de 1856, une série de privilèges fut concédée à ces derniers telle que l¹exonération d¹impôts sauf pour les droits de douane, et le droit de propriété de biens immeubles. Pour ce qui est des litiges, s¹ils concernaient des européens d¹un même pays, il correspondait à leur consul de les trancher; ceux opposant des ressortissants de divers pays européens devaient être soumis à un tribunal consulaire international; tandis que ceux qui opposaient des Européens à des Marocains relevaient de la compétence du cadi, qui devait dicter sa sentence en présence du consul, si le demandeur était européen, et de la compétence du consul, qui devait prononcer sa sentence en présence d¹un fonctionnaire marocain, si le demandeur était marocain. Il est indubitable que ces dispositions limitaient la souveraineté du Sultan et le délestaient de son autorité sur ses sujets. La situation s¹aggravait quand les privilèges s¹étendaient aux sujets marocains employés par les consulats ou par les maisons de commerce. C¹était notamment le cas des secrétaires, interprètes et des courtiers ou commissionnaires, auxquels s¹appliquait le régime de protection, extensible parfois aux familles, épouses et enfants des protégés, qui se mirent à jouir des mêmes privilèges que les Européens. Non seulement ils échappaient à la juridiction marocaine, mais ils devenaient exonérés de payer des impôts au Makhzen, ce qui, étant donné le nombre élevé de protégés que parvinrent à avoir certains pays, particulièrement la France et l¹Espagne, causait un important préjudice au trésor marocain qui se voyait ainsi privé d¹importants revenus.
L¹accord réglementant le droit de protection entre le Maroc et la France signé à Tanger le 19 août 1863 et l¹accord pour l¹exécution du droit de protection signé entre l¹Espagne et le Maroc le 20 août de la même année, lui aussi à Tanger, concédaient ces privilèges aux Marocains employés par les légations ou les consulats de France et d¹Espagne, ainsi qu¹aux courtiers et agents marocains employés par les commerçants français ou espagnols.Il y eut un tel abus du droit de protection que le Sultan, certainement encouragé par la Grande Bretagne, se dirigea, par l¹intermédiaire de son délégué à Tanger, aux représentants des pays, pour leur demander que ce droit n¹outrepasse pas les limites tracées par les Traités. Une conférence célébrée en 1877 entre les agents diplomatiques pour établir une nouvelle réglementation du droit de protection échoua en raison de l¹opposition de la France et de l¹attitude de l¹Espagne, de même qu¹échouera une autre tentative dans le même sens en 1879.
L¹Angleterre, qui était alors par l¹intermédiaire de son habile représentant Sir John Drummond Hay, la puissance européenne qui jouissait de la meilleure écoute à la cours du Sultan, réussit à faire aboutir l¹idée de la Conférence, sauf qu¹au lieu de la tenir à Tanger, elle se déroula à Madrid. Célébrée du 19 mai au 3 juillet 1880, sous la présidence de Canovas del Castillo, la Conférence de Madrid, à laquelle participèrent, outre le Maroc, les onze pays européens représentés à Tanger et les Etats Unis d¹Amérique, n¹apporta, malgré l¹appui de l¹Angleterre au Sultan, aucun changement substantiel à la situation, en raison surtout de l¹intransigeance de la France. Bien que ce pays reconnaissait qu¹il y avait bien des abus pour ce qui est du droit de protection, il considérait que ce régime était nécessaire, compte tenu de l¹animosité dont étaient l¹objet les Européens de la part de la population marocaine, ainsi que du danger que courraient les sujets marocains, particulièrement de confession juive, employés comme courtiers ou commissionnaires par les maisons de commerce européennes.
La France obtint l¹appui des autres puissances, particulièrement celui de l¹Allemagne, tandis que les timides propositions de l¹Espagne, pays hôte, pour atténuer le droit de protection, en le limitant à l¹indispensable, ne connurent guère de succès. La Conférence de Madrid de 1880 conduisit à l¹internationalisation de la question marocaine. A partir de là, toute modification du statut quo au Maroc devenait l¹affaire de toutes les puissances représentées à Tanger.
Le Sultan Moulay Hassan (1873-1894) avait su jouer très habilement des rivalités entre les puissances européennes pour maintenir le statut quo, principe sur lequel il avait basé sa politique extérieure. A son décès en 1894, son fils et adolescent de treize ans, tenta avec l¹aide du Grand Vizir Ahmed ben Musa, connu comme Ba-Ahmed, de poursuivre cette politique, mais son décès en 1900 laissera le jeune Sultan sans défense, précisément au moment où la rivalité coloniale franco-britannique commençait à laisser place à un rapprochement entre différentes puissances. En effet, durant le règne de Moulay Hassan, on a assisté à une recrudescence de la rivalité entre la France et l¹Angleterre, jalouse la première de la position prépondérante de la seconde auprès de la cours du Sultan, si bien que leur concurrence s¹étendit également à d¹autres aires géographiques, particulièrement en Asie et en Afrique noire. L¹incident de Fachoda, dans la vallée du Nil, quand une expédition française se heurta le 10 juillet 1898 aux forces britanniques, fermant le passage à Sir Horatio Herbert Kitchener et l¹intimant à se retirer, marqua l¹apogée de cet affrontement. Après maints efforts de différentes puissances, la France finira par céder et se résigner à accepter l¹hégémonie britannique dans la région egypto-soudanaise. La politique extérieure inaugurée en France par Delcassé favorisait un rapprochement avec la Grande Bretagne pour se répartir amicalement le gâteau colonial. Dans son discours du Trône le 9 août 1899, Edward VII d¹Angleterre annonça la conclusion d¹un Accord avec le Président de la République française, selon lequel furent tracées «les sphères d¹influence sur une grande partie de l¹Afrique du Nord»iv. Ainsi Commença la collaboration franco-britannique, précurseur de «l¹entente cordiale» de 1904, qui aura pour l¹Espagne des conséquences si importantes. Ce rapprochement entre différentes puissances ne les empêchait pas à chaque fois de maintenir des alliances avec des pays rivaux, la France avec la Russie, l¹Angleterre avec le Japon, qui ne tarderont pas à s¹affronter lors de la guerre russo-japonaise 1904-1905, au cours de laquelle les armées du Tsar subiront une humiliante défaite face aux forces de l¹Empereur nippon. La présence de l¹Italie au sein de la dénommée Triple Alliance, aux cotés de l¹Allemagne et de l¹Austro Hongrie, ne sera pas non plus un obstacle pour que la France signe avec elle des accords en 1901 et 1902, en vertu desquels la France lui laissait la liberté d¹action en Tripolitaine, en échange que l¹Italie lui laisse les mains libres au Maroc.
Dans le cadre de la stratégie suivie par Delcassé, le pas suivant visait à neutraliser l¹Espagne, dont le gouvernement se verra proposer par la France en 1902, par l¹intermédiaire de Leon y Castillo, Ambassadeur d¹Espagne à Paris, un accord de partage du Maroc, réservant à l¹Espagne, une zone plus vaste que celle obtenue précédemment qui comprenait des villes comme Taza et Fès. Le gouvernement conservateur de Silvela ne parvint jamais à signer cet accord, considérant qu¹il ne serait pas opportun de le faire « dans le dos de l¹Angleterre », bien que cette attitude espagnole pouvait s¹expliquer, après le désastre colonial de 1898, comme une limitation de ses ambitions qui risquaient de dépasser de loin ses capacités. Pendant que le gouvernement espagnol continuait à penser à tort que la France et l¹Angleterre ne parviendraient jamais à s¹entendre.
Le 9 octobre 1902, l¹ambassadeur d¹Espagne à Londres, le duc de Mandas, rendit compte d¹une conversation tenue avec lord Lansdowne, Ministre britannique des Affaires Extérieures, selon laquelle ce dernier avait affirmé que la Grande Bretagne continuait à vouloir le statut quo au Maroc, mais que si «la question marocaine surgissait», l¹Espagne, «unique possesseur de territoires dans cette zone » avait le « droit de faire entendre sa voix»(v). La France et l¹Angleterre avaient déjà entamé leurs conversations sur le Maroc depuis 1903 (vi). A différentes reprises en fin mars 1904, l¹ambassadeur d¹Espagne à Londres avait consigné l¹existence de négociations sur le Maroc entre différentes puissances, il indiquait notamment qu¹en raison de l¹apparition de certaines difficultés, elles n¹avaient pas progressévii. De nouveau, cette fois-ci le 8 avril, l¹ambassadeur faisait savoir au Ministre d¹Etat que des rumeurs courraient qu¹un accord devait être signé entre la France et l¹Angleterre (viii). Cette rumeur ne fut pas infondée puisque l¹accord franco-britannique a été précisément signé à cette date. L¹Angleterre, comme l¹avait promis lord Lansdowne, n¹avait pas oublié l¹Espagne, bien que ni elle ni la France n¹avaient daigné la consulter et, bien entendu, avaient ignoré superbement des pays, comme l¹Egypte et le Maroc, objet de l¹accord. La dénommée Déclaration Franco-britannique relative à l¹Egypte et au Maroc, du 8 avril 1904, composée de quatorze articles, cinq parmi eux restant secrets, laissait les mains libres à l¹Angleterre en Egypte, en échange que celle-ci laisse toute liberté de la France au Maroc. Nonobstant, l¹Angleterre qui ne voulait pas voir une puissance comme la France en face de Gibraltar, fit pression sur cette dernière pour que soit attribuée à l¹Espagne une zone d¹influence allant depuis la côte de Melilla jusqu¹à hauteur de la rive droite du Sebou, une fois que le Sultan n¹y exercera plus son autorité (article 3º des articles secrets). Il ne restait plus à l¹Espagne qu¹à adhérer au dit accord franco-britannique, comme elle le fit dans la Déclaration hispano-française sur le Maroc du 3 octobre 1904, suivie de l¹accord hispano-français de la même date.
L¹accord franco-britannique, suivi de l¹hispano-français, ne manqua pas de causer une certaine émotion en Allemagne, particulièrement dans certains milieux comme la dénommée Société Coloniale Allemande, laquelle demandait au gouvernement du kaiser de garantir la situation politique régnant au Maroc et de défendre énergiquement les intérêts économiques et politiques des allemands installés dans ce pays; et que, au cas où la situation venait à changer en faveur de la France, d¹obtenir les compensations qui correspondraient à l¹extension de ses intérêts économiques au Maroc (ix). Nonobstant, la goutte qui fit déborder le vase fut la mission dépêchée par le gouvernement français dont le représentant à Tanger, Saint-René Taillandier, se rendit à Fès en début de 1905, pour imposer au Sultan Moulay Abdelaziz toute une série de réformes, qui constituaient de fait un protectorat avant la lettre. En vertu de ces réformes, certaines de caractère militaire, d¹autres, économique, la France prenait le contrôle des forces marocaines dans des villes comme Oujda, Fès et Tanger, ainsi que le monopole de diverses grandes oeuvres. Taillandier proposa en outre au Sultan la constitution d¹une Banque d¹Etat, formé, naturellement, par les grands groupes financiers français. Et, pour comble, Taillandier eut, en plein accord avec son gouvernement, l¹audace de se présenter devant le Sultan comme mandataire des puissances représentées à Tanger, ce qui constituait, bien entendu, une imposture, puisque aucune de celles-ci ne lui avait donné mandat pour imposer au Sultan des réformes qui, combien même elles seraient considérées nécessaires, ne devaient en aucun cas être décidées par une seule puissance et pour son bénéfice propre, sinon d¹un commun accord entre toutes et comptant avec l¹assentiment du Sultan.
Contrairement à toute attente, la France rencontra la ferme résistance de Moulay Abdelaziz décidé à céder le minimum, ce qui ne tarda pas à lui assurer l¹inestimable appui du consul d¹Allemagne, faisant de ce pays le paladin de l¹indépendance et de la souveraineté du Sultan face à l¹offensive, chaque fois plus agressive, de la France. Les temps avaient bien changé depuis la Conférence de Madrid de 880, quand l¹Allemagne prêtait sans réserve son appui à la France sur l¹affaire du «droit de protection». L¹Allemagne, bien que tardivement par rapport à la France et à l¹Angleterre, s¹était incorporée avec impétuosité à la course coloniale et n¹était pas disposée à permettre que soit porté préjudice à ses intérêts économiques. En 1890, elle avait négocié un traité de commerce avec le Maroc et se proposait à continuer à défendre l¹égalité des droits économiques, tout en proclamant tout haut qu¹elle n¹aspirait à aucun avantage territorial. Le gouvernement allemand, qui avait pris connaissance par la presse de l¹accord franco-britannique de 1904 sur l¹Egypte et le Maroc, réagit avec une irritation mal dissimulée, surtout pour ne pas en avoir été informée officiellement, comme elle était en droit de l¹espérer, ne serait-ce que par déférence ou courtoisie, de la part de pays avec lesquels elle entretenait de bonnes relations, surtout si l¹on tient compte que, depuis la Conférence de Madrid en 1880, la question du Maroc concernait toutes las puissances représentées à Tanger. Pour le cas de l¹Angleterre, malgré la rivalité existante sur la domination maritime- l¹Allemagne possédait la marine marchande la plus puissante après la britannique-, les souverains de ces pays étaient unis par des liens étroits de parenté : le kaiser Guillaume II, petit-fils de la reine Victoria, était le neveu d¹Edward VII, et les relations entre les deux gouvernements étaient plus que correctes. Raison de plus pour que l¹Allemagne se sente humiliée, blessée dans son orgueil national. Le responsable de cette situation n¹était autre que le Ministre français des Affaires Extérieures, Théophile Delcassé, dont la politique avait délibérément pour objet d¹isoler l¹Allemagne. La volonté du gouvernement allemand, présidé par von Bülow, qui occupait en même temps le portefeuille des Affaires Extérieures, de s¹affirmer, de démontrer que l¹Allemagne comptait aussi sur la scène internationale et ne consentirait pas que soient prises des décisions relatives au Maroc derrière son dos, se traduisit par la visite, impulsée par von Bülow, de l¹Empereur Guillaume II à Tanger. Cette visite eut, comme on le sait, un énorme écho et donna lieu à de multiples commentaires, y compris avant même qu¹elle ait eu lieu. Pour l¹ambassadeur d¹Espagne à Berlin, l¹objet de la «virée de Tanger», comme fut qualifiée cette visite, était d¹indiquer «de manière explicite» que l¹Allemagne suivait avec une grande attention le déroulement des évènements au Maroc, les négociations en cours et tout ce qui pouvait «altérer de quelque façon que ce soit le statut existant» (x).
On exagéra peut-être l¹importance de cette visite, particulièrement dans la presse, laquelle parla du «coup de clairon de Tanger», surtout suite au «discours» de l¹Empereur Guillaume II, qui ne fut en réalité qu¹un communiqué de presse, préparé par Kuhlmann, secrétaire de la Légation allemande à Tanger, basé sur la conversation tenue par le kaiser avec l¹oncle du Sultan, Abdel Malek, qui était venu l¹accueillir. En tout cas, la déclaration que fit Guillaume II à la Légation allemande le 31 mars 1905 exprima clairement sa position affirmée quant à la défense de l¹indépendance et de la souveraineté du Sultan. Réconforté par les paroles du kaiser et par la visite postérieure que lui fit en mai à Fès, Tattenbach, précedemment représentant de l¹Allemagne à Tanger et depuis lors Ambassadeur à Lisbonne, ainsi que par l¹attitude de rejet par les notables marocains des réformes imposées par la France, Moulay Abdelaziz exprima sa ferme opposition à les accepter. Le Sultan proposait, en échange, sans doute encouragé en cela par l¹Allemagne, la convocation d¹une conférence internationale sur le Maroc. Bien que le départ de Delcassé des Affaires Extérieures le 6 juin 1905, obligé, selon ce qui se disait, à démissionner suite à des pressions du chancelier allemand von Bülow, et sa substitution par Rouvier, qui était déjà Président du Conseil, avait contribué à réduire sensiblement la tension entre la France et l¹Allemagne, la première était opposée à la convocation de cette conférence internationale. Après de multiples conversations et consultations, Rouvier fit savoir par note au gouvernement allemand que la France ne s¹opposerait pas à la tenue de la Conférence, si toutefois le gouvernement allemand s¹engageait à ne pas discuter les traités franco-britannique et franco-espagnol de 1904 et fixait avec précision les points qui devaient y être traités. Le 8 juillet 1905, Rouvier signait avec le prince Radolin, Ambassadeur d¹Allemagne à Paris, une déclaration, qui s¹en remettait aux notes échangées entre les parties comme base pour fixer le programme de la Conférence.
Selon ces notes, l¹Allemagne s¹engageait à ne pas poursuivre d¹objectifs qui lèseraient les «intérêts légitimes» de la France, pour que soient reconnus les principes de la souveraineté et de l¹indépendance du Sultan, l¹intégrité de son empire, et la liberté économique dans des conditions d¹égalité d¹accès। En vertu de cet accord, ainsi que de celui du 28 septembre, l¹Allemagne acceptait que la France se chargeât de la police dans la région frontalière entre l¹Algérie et le Maroc, mais sur d¹autres affaires, comme celles relative à la police des ports marocains et la Banque d¹Etat, les deux parties ne parvinrent pas à se mettre d¹accord.Entre temps, en prévision de la prochaine Conférence sollicitée par le Sultan du Maroc, la France et l¹Espagne signèrent le 1er septembre 1905 un accord suite à un échange de notes, destiné à «fixer de manière plus détaillée l¹esprit et la portée» de l¹accord hispano-français du 3 octobre 1904, et de déterminer «l¹extension des droits» de chacun des deux pays et la garantie de leurs intérêts. Les différentes parties se mirent d¹accord sur des dossiers tels que la police des ports, la vigilance et la répression de la contrebande des armes et les intérêts économiques et financiers. Pour les autres questions, l¹Espagne se déclarait «fermement décidée à agir en complet accord avec la France au cours des délibérations de la Conférence projetée, proposant à la France d¹en faire autant avec l¹Espagne».

Posté par Ibn Khaldoun, 27 juillet 2006 à 15:12

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