Le faux contentieux de l'île de Perejil

Nous donnons l'article de Maria Rosa de Madariaga, paru dans le journal espagnol «El Pais », daté du mercredi 17 juillet 2002 et portant sur l'Ilot Leila faisant partie du territoire marocain.La nouvelle est apparue en premier plan dans toute la presse de ce 12 juillet : un détachement de gendarmes marocains a occupé l'île de Perejil située à proximité de Ceuta. Les radios et chaînes TV ont réservé une large place à l'événement. : Alarme, indignation casus belli avec le Maroc ?
La majorité des lecteurs qui n'a jamais entendu parler de cet îlot s'est efforcée de repérer sur les cartes reproduites par les quotidiens d'information où pouvait bien se trouver exactement cette île ? Elle est en fait située à 200 mètres de la côte marocaine, dans les eaux territoriales du Maroc, à 40 km de Tanger, 14 km de l'Espagne et 8 km de Ceuta et s'étend sur 13,5 hectares, c'est à dire 135.000 mètres carrés. Elle est inhabitée même si elle est régulièrement fréquentée par des pêcheurs et des éleveurs de caprins résidant dans les alentours du Jbel Moussa.
A qui appartient cette île ? Pour certains à l'Espagne, pour d'autres la chose n'est pas aussi claire et à cet effet nous allons faire un bref rappel historique.
Tout d'abord parmi les auteurs du XIXème et XXème siècle qui ont consacré leurs recherches au Maroc, très peu font référence à l'île de Perejil. Au cours de la guerre franco-britannique, l'Espagne étant alors alliée de Napoléon, l'Angleterre occupa cette île temporairement en 1808 dans le but d'exercer une pression sur Ceuta qui de son côté fût soumise au blocus naval de la part des Anglais. La Gazette de Madrid rendit compte de l'événement en ces termes : «Le 28 mars un détachement de 300 hommes de la garnison de Gibraltar prit possession de l'île de Perejil qui appartient à l'empire marocain» (Carlos Posac Mon, Prélude à la guerre d'indépendance dans la zone de Gibraltar, carnets d'archives municipales de Ceuta, 1997).
L'Angleterre qui avait occupé l'île avec le consentement du Sultan à qui elle avait demandé l'autorisation pour ce faire, se retira selon son bon vouloir malgré les protestations de l'Espagne qui ambitionnait d'en prendre possession. Plusieurs tentatives espagnoles d'occuper l'île dans le courant du XIXème ont échoué. Après l'occupation des îles Jaafarines en 1848, sous le gouvernement du général Narvaez, l'Espagne avait projeté d'occuper l'île de Perejil mais ses desseins furent contrariés par l'opposition de l'Angleterre. Dans son œuvre «La question du Maroc du point de vue espagnol (1905)» Gabriel Maura Gamazo nous dit à ce sujet : «nous n'avons pas pu nous approprier également de l'île de Perejil du fait de l'opposition de l'Angleterre. Cet échec devait nous servir de leçon ; nous n'obtiendrons jamais rien au Maroc, si nous ne garantissons pas à l'Angleterre la neutralité du détroit de Gibraltar ou tout au moins notre neutralité vis à vis de l'Angleterre dans le détroit.» De nouveau il y eut une autre tentative espagnole infructueuse d'occupation de l'île en 1887 signalée par le Marquis de Mulhacen (Politique méditerranéenne de l'Espagne 1704-1951, Madrid, 1952).
Opposition donc de l'Angleterre d'un côté contre l'occupation de l'île par l'Espagne mais également des Marocains eux-mêmes comme le reconnaît Gabriel Mora quand il aborde les événements de 1887 : «une commission espagnole qui avait entrepris des préparatifs pour les travaux de construction d'un phare fut assaillie par des Marocains venus de Tanger qui détruisirent les fondations de ce premier ouvrage.» Tomas Garcia Figueras ( Maroc. Action de l'Espagne en Afrique du Nord 1941) rend compte de l'incident en ces termes :«L'Espagne a fait un faux pas en envoyant une commission d'études sur l'île de Perejil ; le Sultan du Maroc a protesté s'agissant d'une action menée sur son territoire sans son autorisation préalable et le plus grave dans cette affaire c'est qu'elle a révélé un haut degré d'ignorance dans les milieux dirigeants de la politique espagnole, vu que nous avons dépêché cette commission en croyant, alors qu'il n'en était rien, que cette île nous appartenait.»Nous avons passé en revue minutieusement tous les traités entre l'Espagne et le Maroc ou avec d'autres puissances en relation avec le Maroc, depuis celui signé le 1er mars 1799 à celui du 29 décembre 1916 sans trouver la moindre allusion à cette île. Ceux relatifs à l'extension des limites de Ceuta, comme celui de Tétouan du 29 avril 1860 ne le mentionnent pas non plus.
D'autres comme la convention franco-marocaine du 30 mars 1912 établissant le Protectorat au Maroc comme la convention hispano-française du 27 novembre de la même année n'en font aucune référence. On peut donc en déduire que l'Espagne n'a jamais pu exercer sur cette île un quelconque droit de souveraineté et que, même si cela n'est pas explicitement mentionné, cette île faisait partie de la zone du Protectorat espagnol. Pour les mêmes raisons, il est révélateur qu'aucune fortification n'ait été construite sur l'île conformément à l'article 7 de la déclaration franco-britannique du 8 avril 1904 et l'article 14 de la convention franco-espagnole du 3 octobre de la même année qui stipulent que pour assurer le libre passage dans le détroit de Gibraltar, les deux gouvernements conviennent de ne pas permettreque s'érigent des fortifications ou ouvrages stratégiques sur la côte marocaine comprise entre Melilla et les hauteurs de la rive droite du Sébou sur la côte atlantique.
Tomas Garcia Figueras, idéologue de l'africanisme militaire de l'époque franquiste établissait une nette distinction entre les places de souveraineté espagnoles qu'il énumère avec exhaustivité sans mentionner l'île de Perejil, et la zone du Protectorat en précisant que «Les places de Ceuta et Melilla disposaient d'une aire extérieure de souveraineté dont les limites avec le Maroc ont été établies par Traités. Il convient donc, pour éviter toute confusion commise si fréquemment et lamentablement par l'Espagne, de bien distinguer les territoires de souveraineté et le reste de sa zone de Protectorat où tous les actes sont pris au nom du Khalifa du Sultan dans les limites tracées par les accords internationaux.»
Il en résulte à l'évidence que l'île de Perejil ne faisait pas partie des places de souveraineté sinon du Protectorat, de telle sorte que lorsque le Maroc obtint son indépendance en 1956, l'îlot devait se retrouver dans le nouvel Etat indépendant.
Il ne nous échappe guère que les aspects politiques prennent le pas dans cette affaire qui gagnerait à être examinée avec objectivité et impartialité. Il convient de souligner que le contentieux entre l'Espagne et le Maroc manque de justification historique et ne devrait par conséquent pas exister du tout.
par Maria Rosa de Madariaga
* Maria Rosa de Madariaga est historienne spécialiste du Maroc, Al Bayane a déjà eu le plaisir de présenter à ses lecteurs ses deux ouvrages «l'Espagne et la Guerre du Rif» et «Les Marocains enrôlés par Franco».
Posté par Ibn Khaldoun, 27 juillet 2006 à 15:08
Le problème de Sebta et Melilla demeure entier
La crise maroco-espagnole a connu des développements positifs après le retrait des forces espagnoles de l'îlot Leïla, commente lundi la presse belge qui continue de consacrer commentaires et reportages à la question, en soulignant que le problème de Sebta et Melilla demeure cependant entier. Citant une habitante de la ville occupée de Sebta, le quotidien «La Dernière Heure» rapporte que cet épisode avait tout d'un «film hollywoodien».«Je n'aurais jamais imaginé que l'Espagne, au XXIème siècle, puisse réoccuper à la faveur d'une opération militaire spectaculaire un bout de territoire totalement inconnu», a poursuivi Maria.
Mais si la question de cet îlot est «en passe d'être réglée, le statut des enclaves espagnoles de Sebta et Melilla ne l'est toujours pas pour le Maroc», commente le journal.De son côté, l'envoyé spécial du quotidien bruxellois «Le Soir» décrit Sebta comme une ville représentative de «La hargne que cet anachronisme colonial espagnol met depuis un demi millénaire à ne pas vouloir s'extirper des côtes africaines, telle une écharde plantée dans l'orteil du monde arabe».
La chaîne RTBF explique, pour sa part, que même «si la crise est passée, l'essentiel est loin d'être réglé. Car, au-delà de l'épisode de Persil, digne d'un grand guignol, il y a les relations plus que tendues entre l'Espagne et le Maroc, et ce depuis des années».
Les deux pays s'opposent sur un grand nombre de questions, notamment «les deux enclaves espagnoles de Sebta et Melilla, sur les côtes marocaines (...) les Espagnols, qui revendiquent eux-mêmes Gibraltar, ne veulent à aucun prix lâcher» les territoires sous leur contrôle en terre africaine, conclut-elle.
Posté par Ibn Khaldoun, 27 juillet 2006 à 15:09

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